Patrimoine, la préservation entre tensions et concurrences
Le plus important en quelques mots
L'intérêt majeur de convention sur le patrimoine de l'UNESCO, en 1972, est de mettre en valeur le patrimoine mais surtout de le préserver : conserver son authenticité, conserver son caractère traditionnel, faire en sorte qu'il puisse continuer d'être transmis de génération en génération (tu retrouves ici la définition première du patrimoine, quelque chose qui se transmet !). Néanmoins, le caractère politique que peut prendre le patrimoine, ou la valorisation touristique excessive, peut mettre à mal la préservation de ces espaces.
Jalon 1 : Paris entre protection et nouvel urbanisme
Les grandes métropoles ont un objectif double : continuer d'accueillir autant de monde et proposer un nombre de logements suffisants, mais conserver l'authenticité et le patrimoine qui forge aussi des villes anciennes, comme celle de Paris.
Paris, un héritage architectural intéressant
La ville de Paris est un centre touristique considérable, ayant accueilli 44 millions de touristes en 2022. Paris bénéficie d'un héritage architectural fort. Le Louvre est construit entre 1190 et 1202 comme palais royal par Philippe-Auguste. La cathédrale Notre-Dame est érigée de 1163 à 1345. Le Panthéon, bien que construit à la fin du XVIIIe siècle, s'inspire de l'architecture gallo-romaine. Ces trois monuments, parmi les plus anciens de Paris, ne sont qu'une partie d'une longue liste d'œuvres architecturales qui composent le paysage parisien, et qu'il convient de ne pas dénaturer.
Par ailleurs, Paris est organisée de façon très géométrique et rectiligne, héritage des travaux du baron Haussmann pendant le Second Empire, et plus particulièrement entre 1853 et 1870, période pendant laquelle il est désigné préfet de Paris. Cette organisation de la ville de Paris a été pensée pour pouvoir accueillir de nombreux habitants, dans des immeubles, eux aussi, de type "haussmannien", composés d'appartements pour augmenter la densité de population.
Une capitale face aux enjeux modernes
Pour accueillir toujours plus d'habitants, et aussi accueillir des entreprises, pour conserver le dynamisme économique de la capitale, la tentation de l'urbanisation verticale, visant à construire des tours, des gratte-ciels, se trouve heurtée aux enjeux de préservation de la ville de Paris. Les projets de tour sont relégués dans des quartiers très spécifiques, comme le quartier de la Défense. La Tour Montparnasse (construite de 1969 à 1973), qui accueille de nombreux bureaux, est le dernier projet de cette ampleur mené à Paris, signe de l'opposition des habitants à ce type de bâtiments. A la crainte de dénaturer le paysage parisien s'ajoute également la crainte d'"oublier" les monuments actuels, justement reconnus pour surplomber Paris, comme la tour Eiffel ou l'arc de triomphe.
Une réflexion nouvelle tournée vers les enjeux de demain
Paris parvient néanmoins à continuer son développement tout en surfant sur l'héritage culturel et architectural qu'elle a reçu. Aujourd'hui, un quartier comme Bercy Village, qui réunit de nombreuses boutiques dans une rue piétonne faisant justement une "rupture" avec le volet haussmannien de la ville avec ses grandes avenues, est un bon exemple de projet moderne qui concilie tradition parisienne et dynamisme économique. Le classement des rives de la Seine au patrimoine mondial de l'UNESCO en 1991 répond lui à d'autres enjeux : à la fois préserver un espace naturel (bord de fleuve) qui constitue l'histoire même de l'implantation parisienne, mais également développer toute une politique écologique dans la capitale, encourageant notamment les mobilités douces par l'aménagement de voies piétonnes et cyclables sur les bords de Seine.
Jalon 2 : La question patrimoniale au Mali, un enjeu géopolitique
Le Mali est un pays en proie à de nombreuses tensions internes, opposant des cultures différentes, mais faisant surtout entrer en jeu des groupes terroristes qui n'hésitent pas à prendre le patrimoine pour cible.
Le Mali, un patrimoine physique et culturel fort
Au Moyen-Âge, le Mali est un empire puissant. Territoire d'implantation de l'Islam, la ville de Tombouctou est classée au patrimoine mondial de l'UNESCO en 1988, notamment à travers ses 16 mausolées hérités du XIVe siècle. Les falaises de Bandiagara, patrimoine naturel, sont classées depuis 1989. Par ailleurs, le patrimoine immatériel est dense : les chants traditionnels, cérémonies, danses et rituels transmis depuis des générations forgent l'identité malienne. Néanmoins, le Mali est en proie justement à une diversité culturelle qui est source de conflits, forçant parfois certains pratiquants à renoncer à leurs traditions.
Le patrimoine, un enjeu de la guerre ?
Depuis 2012, les attaques terroristes perpétrées par les djihadistes au Mali visent régulièrement des sites patrimoniaux. Tombouctou est particulièrement visé, et 14 mausolées sont détruits en 2012 par des attentats. En visant des éléments de la culture malienne, les terroristes souhaitent effacer les traces d'une civilisation précédente pour mieux imposer leur vision du monde et leur politique.
Par ailleurs, si le territoire malien est divisé en de nombreuses communautés, la volonté de certaines d'entre elles d'imposer leur culture aux autres, est un risque pour la transmission du patrimoine immatériel. Avec 8 communautés bien identifiées sur le territoire malien, et une zone d'insécurité particulièrement étendue sur la zone est du pays, le patrimoine n'est plus considéré comme un bien collectif mais comme une revendication identitaire à effacer pour étouffer les cultures minoritaires.
Le patrimoine, un enjeu de la paix ?
Le patrimoine peut néanmoins être un vecteur de paix, dans le fait qu'il est justement un élément de l'identité des pays, un élément culturel qui est censé rassembler, voire même protéger les peuples si l'on suit certaines légendes et traditions sacrées ! C'est pour cela que l'UNESCO, qui fait partie de l'ONU, a aussi le pouvoir de déployer des casques bleus amenés spécifiquement à protéger le patrimoine. Au Mali, des soldats sont donc déployés pour sécuriser les mausolées reconstruits depuis 2014. Restaurer le patrimoine détruit est un symbole de la continuité des États et des cultures, qui ainsi ne doivent pas être effacés par la guerre. Pour reconstruire les mausolées de Tombouctou, les architectes ont dû mener des enquêtes auprès de la population pour en tirer des souvenirs, des photos, visant à reconstruire ces bâtiments à l'identique, comme pour recréer la culture victime des conflits et du terrorisme.
Jalon 3 : Venise, entre valorisation touristique et protection du patrimoine
Avec 30 millions de touristes par an, la ville de Venise bénéficie d'un succès mondial considérable. Un succès pas forcément compatible avec la préservation des lieux.
La surfréquentation touristique à Venise, un bilan déplorable
Venise est une ville qui s'est structurée autour de la clientèle touristique : aménagement des ports, d'un aéroport de proximité... Cette clientèle apporte des revenus massifs, mais met en péril l'équilibre de la ville. L'équilibre humain, d'abord : la fréquentation touristique augmente, mais le nombre d'habitants diminue, perdant plus de 5 millions d'habitants entre 2010 et 2015. Les habitants ne supportent plus la fréquentation touristique qui vient encombrer les rues, sans toujours respecter ni la culture locale, ni l'environnement (jet de déchets notamment). L'équilibre environnemental est donc un autre équilibre fragile : pour circuler dans Venise, les bateaux effectuent toujours plus de trajets, pour transporter toujours plus de monde. Les rives s'abiment, tandis que les bateaux de croisière provoquent parfois des éboulements.
Une transition touristique en vue ?
Pour répondre aux enjeux de préservation de la cité vénitienne, et aux objectifs fixés par l'UNESCO dans la préservation des sites classés (Venise est classée au patrimoine mondial depuis 1987), Venise doit changer sa politique touristique. En septembre 2021, les paquebots de croisiéristes sont interdits du centre de Venise, obligeant même le gouvernement italien à indemniser les compagnies ! À partir de janvier 2023, les touristes qui se rendent à Venise sans y séjourner doivent payer une taxe pour accéder à la ville, allant de 3 à 10 euros en fonction des périodes. Cette taxe vise à financer la préservation de la ville.
En changeant sa politique, Venise prend le risque de baisser les recettes liées au tourisme, mais fait le choix de la durabilité du secteur. Préserver le patrimoine vénitien, c'est s'assurer encore de longues années de fréquentation touristique, certes à moins grande échelle, mais plus respectueuse.