Histoire et mémoires des conflits
Le plus important en quelques mots
Les guerres passées et les violences subies par nos ancêtres nous imposent un "devoir de mémoire". Il faut se rappeler ce que d'autres humains ont vécu dans la quête ou la défense de leur liberté. Ainsi, il semble exister une mémoire "officielle" qui synthétise les mémoires individuelles de ceux qui ont vécu l'événement. Pourtant, la distinction entre histoire et mémoires reste importante dans le travail de l'historien cherchant à reconstituer des faits.
Histoire et mémoire, histoire et justice
L'Histoire, notamment celle des conflits, doit être reconstituée afin de pouvoir faire lumière sur les faits qui se sont réellement passés, et juger de façon neutre et impartiale les responsables de la guerre...Lorsque ceux-ci sont identifiables.
Distinguer histoire et mémoires
Les deux notions sont donc bien distinctes. L'histoire s'attache à traiter un fait passé de la manière la plus neutre et objective possible. Elle doit donc comporter une prise de recul vis-à-vis des mémoires, qui pour leur part subissent un traitement émotionnel. La personne qui raconte ce qu'elle a vécu va parfois inconsciemment cacher des épisodes traumatiques, ou mettre en lumière un point de vue qui lui est propre. Dans le travail de l'historien, les mémoires se rapprochent donc du témoignage, puis du récit.
Ce n'est pas pour autant que ces mémoires sont bien importantes que l'histoire finalement retenue. Bien au contraire, ces mémoires font l'objet d'un traitement particulier pour honorer et respecter ce qui a été vécu : les plaques commémoratives, les monuments de commémoration, constituent justement des "lieux de mémoire" qui visent à ne pas oublier ce qui a été vécu, perçu, par les individus eux-mêmes.
Les lieux de mémoire servent enfin en appui de l'histoire, comme pour rappeler un fait historique important.
Exemple
Les lieux de commémoration de la Shoah visent à rappeler le génocide juif de la Deuxième Guerre mondiale, et ainsi faire taire les pensées négationnistes.
Crimes contre l'humanité et génocide, des notions nouvelles
Après la Seconde Guerre mondiale, la communauté internationale prend conscience de la nécessité d'une justice internationale pour traiter des actions qui, en guerre, s'opposent fondamentalement aux droits humains.
Le génocide désigne "l'intention de détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux". C'est la convention des Nations Unies qui fixe cette définition. Il s'agit donc d'une volonté d'exterminer un peuple en raison de son origine ou de ses croyances. Le génocide arménien de 1915, le génocide juif pendant la Seconde Guerre mondiale, et le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 sont reconnus comme des génocides.
La notion de crime contre l'humanité va encore plus loin et intègre toutes les actions qui vont à l'inverse des droits humains fondamentaux : si un génocide est un crime contre l'humanité, c'est aussi le cas de l'esclavage, de la torture ou des violences sexuelles. Le crime contre l'humanité est donc une notion pénale qui naît pendant les procès de Nuremberg, jugeant les haut-responsables nazis en 1945.
En 1998, la cour pénale internationale est créée pour juger de façon permanente ces crimes. Mais tous les pays n'en reconnaissent pas encore la supériorité. Les statuts de la cour pénale internationale ont été signés et ratifiés par les pays européens, mais signés et non ratifiés par les États-Unis ou la Russie. Les nouvelles puissances comme la Chine ou l'Inde ne reconnaissent aucunement la cour pénale internationale.
Jalon 1 : Un débat historique et ses applications politiques, les causes de la Première Guerre mondiale
Les conflits, et notamment ceux du XXe siècle qui laissent une trace autant chez les soldats que chez les civils, font l'objet de mémoires diverses, mais aussi d'une mémoire collective. Les débuts de la Première Guerre mondiale illustrent une difficile compréhension des causes de ce conflit.
Des causes multiples
L'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand en 1914, héritier du trône d'Autriche-Hongrie, est souvent désigné comme l'élément déclencheur de la Grande Guerre. Néanmoins, cette vision est assez réductrice. Dans l'Europe du début du XXe siècle, les tensions montent entre les puissances européennes, s'appuyant chacune sur leur puissance coloniale. On peut parler d'impérialisme. L'Allemagne est d'ailleurs dirigée par un empereur, Guillaume II. En France, les crises politiques successives de la IIIe République font naître un fort sentiment nationaliste.
La triple entente (France, Royaume-Uni, Russie), et la Triple-Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie), sont à la base des alliances politiques. Mais les évolutions de la révolution industrielle font apparaître une course à l'armement dans les différents pays, qui s'ajoute aux tensions et provoque ainsi la fin de l'équilibre entre ces alliances.
Une responsabilité désignée ?
Autour des notions de nationalisme et de course à l'armement, chaque pays se revendique comme attaqué et présente la guerre comme un simple moyen de défendre ses droits et ses libertés. Les causes de la Première Guerre mondiale restent donc très floues tant personne n'en assume la responsabilité. La propagande, notamment en France, dénonce l'impérialisme allemand comme une menace, et l'empereur comme un agresseur.
En 1919, le traité de Versailles, afin de fixer des réparations, tente de désigner des responsables de la guerre. Les pays perdants doivent assumer une responsabilité totale du conflit, ce qui est mal vécu par l'Allemagne qui voit ce traité comme un "Diktat". Désigner un responsable unilatéral à la fin d'un conflit aussi majeur pourra malheureusement être considéré comme la première source de déclenchement d'un deuxième conflit, celui de 39-45.
Une mémoire commune
Les traités officiels ont donc désigné l'Allemagne comme responsable, néanmoins vainqueurs et vaincus partagent une mémoire commune de la Première Guerre mondiale, celle d'un conflit meurtrier et terrible, d'une violence encore jamais subie auparavant. Des actions symboliques tentent d'être organisées entre les anciens soldats pour favoriser et encourager la réconciliation. Si l'on parlait au début de la Première Guerre mondiale de la "der des der", le dernier conflit armé, le cauchemar vécu par les soldats des deux camps renforce la volonté de ne plus connaître une telle violence. La mémoire collective ne doit donc pas être qu'un facteur de fierté nationale, mais aussi un facteur de réconciliation.
Jalon 2 : Histoire et mémoires d'un conflit, la guerre d'Algérie
La France met longtemps à reconnaître la "guerre" en Algérie. Cette notion n'intervient qu'en 1999, approuvée par l'Assemblée Nationale, et remplaçant les termes "d'événements" ou "d'opérations" menées en Algérie.
L'Algérie, symbole d'une France divisée
La guerre d'Algérie est un combat de décolonisation. De 1954 à 1962, des violences sont perpétrées dans le pays, et témoignent d'une multitude d'acteurs intervenant dans le conflit. Il faut d'abord se rappeler que la France est présente en Algérie depuis 1830, avec de nombreuses populations européennes qui sont venues s'y installer depuis. Mais en 1954, le Front de Libération National (FLN) revendique l'indépendance et mène des actions insurrectionnelles contre l'autorité française en Algérie. Officiellement, l'armée française envoie du renfort et se mobilise dans une volonté de maintenir l'ordre. Mais la surenchère des violences mène à une véritable guerre entre le FLN et l'armée française. Alors que le général de Gaulle, de retour au pouvoir en 1958, semble ouvrir la voie aux négociations et à l'indépendance algérienne, les Français qui sur place refusent d'abandonner l'Algérie française se retrouvent en 1961 dans l'OAS, l'Organisation Armée Secrète, qui mène des actions terroristes.
Un conflit clandestin, des actions cachées
L'instabilité politique française (jusqu'au retour de De Gaulle) et l'arrivée dans le conflit de l'OAS, une armée clandestine, rend difficile le traitement historique de la guerre d'Algérie. La violence est flagrante pendant ce conflit non pas forcément entre armées, mais entre militants, manifestants, et militaires français. La bataille d'Alger en 1957 vise à réprimer les manifestations, faisant au moins 1000 morts côté algériens, et 300 dans les forces armées françaises. Les travaux d'historien sont parvenus à montrer que la torture avait été utilisée par le général Massu, commandant de la police en Algérie à partir de 1957, à l'encontre des forces du FLN.
L'Organisation Armée Secrète (OAS) mène aussi des actions terroristes contre les Algériens, mais aussi contre les forces françaises, tentant même une prise de pouvoir par la force en avril 1961, pour défendre l'Algérie française et s'opposer à l'indépendance.
Le 17 octobre 1961, une manifestation pacifique est organisée à Paris par des Algériens, qui sont violemment réprimés : certains sont jetés dans la scène. Pendant des années, cette répression reste officiellement dissimulée.
La construction des mémoires algériennes
Les mémoires algériennes peinent à converger vers une mémoire collective.
D'abord, les harkis, ceux qui ont combattu auprès de l'armée française, ont été obligés de fuir leur pays après l'indépendance en 1962. Ils sont désignés comme des traîtres par le FLN, mais sont mal accueillis en France. Ces populations vivent dans la pauvreté, dans un pays qu'ils ne connaissent pas. Parmi ceux restés en Algérie, des populations sont massacrées. L'abandon des harkis est reconnu par le président Hollande en 2016.
Aujourd'hui, l'Algérie peine à s'inscrire pleinement dans la démocratie. L'instabilité politique est un héritage de la difficile reconstruction d'une unité collective après la guerre d'Algérie. Officiellement, le peuple algérien met en évidence l'agression qu'ils ont subi par la France dans leur quête de l'indépendance, mais cette mémoire est parfois détournée pour s'opposer à toute forme de pouvoir qui parviendrait à s'installer durablement en Algérie. On parle d'ailleurs de populisme : la guerre d'Algérie a attiré la défiance des populations vis-à-vis des élites, des représentants politiques.