Liberté ou contrôle de l'information : un débat politique fondamental
Le plus important en quelques mots
La liberté de la presse, voire même la liberté d'expression, n'est pas garantie dans tous les pays. L'information peut être jugée néfaste par certains gouvernements, notamment les plus autoritaires. Les exemples sont nombreux pour témoigner de l'impact de la presse dans les conflits internes ou externes des pays. Son impact est tel que l'information et la presse sont également utilisées comme propagande, pour diffuser des idées, des informations parfois fausses, ou du moins déformées. Aujourd'hui, la question de la propagande revient au premier plan, non pas toujours de la part des États, mais aussi venant de groupes privés qui possèdent tellement de parts de marchés qu'ils disposent d'un quasi-monopole de l'information.
Jalon 1 : L'information dépendante de l'opinion ? L'affaire Dreyfus et la presse
Affaire politique, judiciaire et médiatique à cheval sur les XIXe et XXe siècle, l'affaire Dreyfus illustre à la perfection le rôle des médias dans l'opinion, qui plus est à une période de forte expansion de la presse écrite, une dizaine d'années après la loi sur la liberté de la presse.
Une affaire judiciaire...
En 1894, le capitaine Dreyfus, évoluant dans l'armée française, est condamné pour trahison. Il est accusé d'avoir livré des informations essentielles à l'Allemagne : il est condamné au bagne et radié de l'armée. Il s'agit en fait d'une erreur judiciaire, et / ou d'une affaire d'antisémitisme. De confession juive, Dreyfus semble en réalité avoir été condamné de par ses origines religieuses.
Portrait d'Alfred Dreyfus
...qui devient médiatique...
Si l'affaire ne semble aux premiers lieux pas forcément intéresser l'opinion publique, la presse aborde le sujet pour dénoncer le traître. La riposte commence à s'organiser du côté des journalistes qui commencent à mettre sur papier quelques preuves et irrégularités dans le traitement de l'affaire. Alors que La Croix (tiré à 190 000 exemplaires !) ou L'Echo de Paris continuent de s'acharner contre Dreyfus, des journaux "dreyfusards" portent une voie opposée, comme La Petite République ou Le Journal du Peuple. C'est dans L'Aurore (tiré à 93 000 exemplaires) qu'Émile Zola publiera le 13 juillet 1898 l'article J'accuse, dans lequel l'auteur prend clairement position pour dénoncer les abus et le caractère antisémite de la condamnation.
Portrait d'Émile Zola
...et politique
Le parti pris des différents médias invite les lecteurs à s'intéresser de plus en plus à cette affaire. La société française se divise elle aussi entre "dreyfusards" et "antidreyfusards". Des caricatures mettent en lumière le tabou qui peut régner dans les groupes sociaux, les familles, autour de l'innocence ou non de Dreyfus. C'est finalement la Cour de cassation qui vient remettre en cause le jugement du conseil de guerre. Devant l'ampleur de l'affaire, Dreyfus bénéficie également de la grâce présidentielle. Il est officiellement innocenté en 1906.
Jalon 2 : L'information entre le marché et l'État, l'histoire de l'agence Havas et de l'AFP
Les agences de presse ont un statut et un cadre particulier : au contraire des journaux, les agences fournissent une information neutre qui ne fait pas l'objet d'un traitement médiatique et d'une ligne éditoriale.
Des agences pour recenser l'information
Si les titres de presse sont de plus en plus nombreux au XIXe siècle, il se pose la question de comment réunir des informations fiables et nombreuses pour fournir les journaux. L'agence Havas est considérée comme la première agence de presse, fondée en 1835 par Charles-Louis Havas, un homme d'affaires. Si celui-ci se veut journaliste, son exploit consiste en la création d'un réseau général d'information dans différents pays, permettant alors de fournir l'actualité. Le télégraphe, à partir de la seconde moitié eu XIXe siècle, fait partie des moyens techniques utilisés pour échanger des informations entre l'agence Havas et la presse écrite. Aux côtés de Reuter, Havas reste l'une des plus grandes agences de presse au monde.
L'Agence-France-Presse, une information à la française
Au plan national, l'Agence-France-Presse (AFP) joue le rôle d'informateur. Tu entendras souvent des journalistes à la télévision évoquer l'AFP comme source. D'abord filiale du groupe Havas sous le nom de l'Office Français d'Information (OFI), entreprise collaboratrice pendant la Seconde Guerre mondiale, l'agence prend le nom d'AFP dans les années 1960. L'AFP se présente comme un "partenaire" des différents journaux, un partenaire neutre amené à leur fournir un maximum d'information.
Aujourd'hui, le rôle de l'AFP consiste en la publication de dépêches qui ne doivent pas laisser transparaître de prise de position : c'est la nuance avec le travail journalistique. L'AFP est un informateur, mais aussi un interlocuteur privilégié dans la communication politique, le pouvoir utilisant l'AFP comme un moyen de faire passer des communiqués.
Logo de l'AFP
Des agences à l'inverse du pluralisme
Les agences de presse subissent toutefois des oppositions : si tous les journaux ont les mêmes informateurs, et que ces informateurs sont réduits à quelques agences, alors on peut se demander si le pluralisme médiatique est bien respecté. Finalement, ce qui semble différencier les médias, c'est la façon dont ils s'emparent de l'information. Évidemment, certains journaux ou chaines télévisées cherchent également à obtenir des informations par eux-mêmes, des "exclusivités", sans passer par les agences de presse !
Du côté de l'AFP, des voix s'élèvent également pour dénoncer le filtrage de l'information, et les relations entre l'agence et l'État. Les statuts de 1957 doivent garantir l'indépendance de l'agence, mais les pressions qui s'exercent sur les journalistes de façon générale touchent également les informateurs de l'AFP.
Exemple
En 2022, deux reporters de l'AFP sont violemment agressés alors qu'ils couvraient une manifestation contre le pass vaccinal.
Jalon 3 : Information et propagande en temps de guerre : les médias et la guerre du Vietnam
L'utilisation des médias et de la propagande est l'un des premiers enjeux de la guerre froide. La guerre du Vietnam illustre à ce titre le phénomène.
Contextualiser le conflit
Le Nord-Vietnam, communiste et soutenu par l'URSS, tente de prendre l'ascendant sur le Sud-Vietnam sous dictature à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Les États-Unis, préférant la dictature au communisme, s'engage aux côtés du Sud-Vietnam en 1964, sur décision du président Johnson. Les troupes américaines seront mobilisées au Vietnam pendant 9 ans (jusqu'aux accords de Paris de 1973). On dénombre jusqu'à 530 000 soldats américains déployés au plus fort du conflit. Il s'agit d'un investissement majeur, mais qui peine à se légitimer. On estime à 58 000 le nombre de soldats américains morts au Vietnam.
Evolution du nombre de soldats américains pendant le conflit
La guerre du Vietnam, une guerre d'images
Devant les pertes humaines conséquentes subies par les Américains, et les nombreuses familles en deuil, le gouvernement doit trouver le moyen de maintenir le moral des troupes et l'aval de l'opinion. Il va pour cela utiliser les médias pour légitimer son action. Alors que la télévision fait son apparition, Nixon va lui-même expliquer sur les ondes la nécessité de certains bombardements. Les photographes de guerre mettent en avant l'héroïsme des soldats face à l'ennemi. Enfin, les vétérans de guerre sont invités à témoigner en faveur de l'intervention.
À l'opposée, la liberté laissée à la presse joue en défaveur de l'initiative américaine. Les journalistes apportent les preuves de l'enlisement du conflit, voire même des exactions commises par les Américains. Les images de zones bombardées mettant en péril des familles et des enfants choquent l'opinion publique. Les pertes américaines sont également reportées dans les grands quotidiens nationaux. A la fin du conflit, près de deux tiers des Américains considèrent cette intervention comme une erreur. Le Sud-Vietnam tombera sous contrôle communiste en 1975, laissant inefficace l'intervention passée des Américains.